LA TRAGÉDIE CONTEMPORAINE
Jean Mohsen FAHMY
16 décembre 2020
Le christianisme est né grâce à sa diffusion par les apôtres et les disciples. Puis, malgré les persécutions que l’État romain a fait subir aux premières communautés de fidèles en Orient, leurs saints et leurs penseurs ont joué un rôle central dans l’édification de l’Église et la définition de la foi.
Puis, soudain, après les invasions musulmanes du 7e siècle, les communautés chrétiennes qui habitaient l’Orient commencent à dépérir. À maintes reprises dans les siècles qui ont suivi, on a pu craindre leur disparition. Et aujourd’hui, leur sort est de nouveau jeté dans la balance de l’histoire.
Je n’ai pas l’intention de m’étendre longuement sur la sinistre litanie des persécutions qu’ils subissent aujourd’hui. Résumons-les en quelques grandes tendances :
- De nombreux monastères et églises, dont certains remontent aux premiers temps de l’Église, sont détruits ou incendiées,
- Des maisons et des commerces appartenant à des chrétiens sont également détruits et les habitants de certains villages ou de certaines régions sont obligés de quitter leurs terres ancestrales par peur pour leur sécurité ; ainsi, 25% des réfugiés syriens qui fuient leur pays sont chrétiens, soit cinq à huit fois leur proportion dans la population
- Des jeunes filles sont régulièrement kidnappées, converties de force et mariées à de parfaits inconnus, notamment en Égypte
- Les conversions au christianisme sont frappées d’interdit et peuvent mener à des peines sévères
- Les chrétiens jouent de moins en moins de rôles importants dans les institutions des divers États; ils sont écartés de nombreux centres de pouvoir
- Pour certains mouvements fondamentalismes extrémistes, tels les salafistes, l’existence de chrétiens au sein d’une société musulmane est un anachronisme qu’il faut faire disparaître.
Arrêtons là cette triste litanie. Je voudrais signaler par contre certaines conséquences étonnantes de cette situation difficile. Ainsi, dans l’Église d’Égypte, le monachisme est en pleine renaissance. De vieux couvents sont rénovés, de nouveaux sont construits, et les moines qui y arrivent par centaines sont souvent des jeunes des milieux urbains éduqués.
Le bilan
Où en est-on, en cette fin de la deuxième décennie du 21e siècle ?
Mentionnons tout d’abord quelques chiffres qui sont plus éloquents que mille discours.
En l’an 2000, on estimait que les chrétiens d’Irak étaient au nombre de 1,3 million environ.
Combien sont-ils aujourd’hui, ces chrétiens jadis évangélisés par saint Thomas et saint Jacques ? Ils sont peut-être 300 000. À peine 20% de leur nombre il y a 15 ans !
En Syrie, les chrétiens représentaient en 1970 de 8 à 10% de la population du pays. Dans le tragique effondrement de leur pays, combien sont ces chrétiens jadis évangélisés par saint Pierre et saint Paul? 2%? 3% 4%? Nous le saurons avec précision quand cette tragédie cessera.
Et en Terre sainte, la terre où Jésus a vécu, a prêché l’Évangile et est mort? Laminés entre les Palestiniens musulmans et les Israéliens qui veulent un État exclusivement juif, les Palestiniens chrétiens émigrent en masse ; dans la Palestine historique (Israël et les Territoires occupés), ils représentaient, au début du 20e siècle, 12 à 15% de la population ; aujourd’hui, ils sont moins de 2 %. Et cet exode fait sûrement l’affaire des extrémistes parmi les colons israéliens.
La situation dans la Palestine historique est pleine de paradoxes. Bethléem, la ville qui a vu naître le Christ, avait une population chrétienne de 62% il y a quelque quarante ans. Aujourd’hui, elle n’est que de 15%. Plus significatif encore, il y avait dans la Ville sainte, à la création de l’État d’Israël, 50 000 chrétiens. Ils ne sont plus que 5 000, et leur nombre diminue tous les jours, permettant ainsi l’émergence d’une Jérusalem de plus en plus juive, selon le souhait des autorités israéliennes.
Dans l’indifférence, nous risquons de voir disparaître, pour la première fois dans l’histoire, pour la première fois en vingt siècles, toute présence chrétienne en Terre sainte.
Les fruits du martyr
Il y a donc affaiblissement et dépérissement. Mais cette épreuve réveille souvent chez les chrétiens d’Orient des charismes nouveaux.
Elle raffermit tout d’abord leur foi. En témoignent le renouveau du monachisme dans leur sein. Par ailleurs, leurs pasteurs veulent les amener à une vision prophétique de leur sort, les exhorter à « découvrir leur vocation » et à « ne pas s’enfermer dans une mentalité de ghetto ».
Et, pendant que les chrétiens d’Orient se débattent dans l’angoisse, que peuvent faire les autres chrétiens, partout dans le monde, et notamment en Occident, pour leur venir en aide ?
Les croyants peuvent tout d’abord prier, prier encore, prier toujours pour leurs frères et sœurs dans l’épreuve.
Ils doivent également continuer à se renseigner. L’ignorance n’est plus une option.
Ils peuvent diffuser, dans tous les milieux, cette information, afin de lever le voile d’ignorance ou d’indifférence qui continue d’être jeté sur le sort de ces minorités étranges.
Ils peuvent également les aider matériellement, quand des organismes sérieux les sollicitent à cet égard.
Ils peuvent enfin tenter de sensibiliser les autorités de leurs pays à cette cause.
Les chrétiens d’Orient, comme ceux d’Occident d’ailleurs, se rappellent une constante de l’histoire du christianisme : le sang des martyrs est une semence d’évangélisation. Ce qui était vrai jadis l’est encore aujourd’hui.